Les mémoires de
Ravachol

LES PRINCIPES DE
RAVACHOL

Ce texte est extait d'un ouvrage de Jean Maitron Ravachol et les anarchistes édité par Folio Histoire
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      François Claudius Koeningstein - Ravachol du nom de sa mère - apparut à Saint-Denis en juillet 1891. Recherché pour assassinat suivi de vol, il y vécut sous le nom de Léon Léger chez le compagnon Chaumartin dont la femme était une amie de celle de l'anarchiste Descamps. D'accord avec un certain Simon Charles, Achille dit Biscuit qui avait assisté aux débats de l'affaire Descamps, d'accord également avec Jas-Béala et sa maîtresse Mariette Soubère, il décida de venger les compagnons condamnés.
      Ils songent d'abord à faire sauter le commissariat de Clichy et le 7 mars 1892, les voilà qui emportent une marmite chargée d'une cinquantaine de cartouches de dynamite et de débris de fer en guise de mitraille ; mais le projet avorte en raison des difficultés d'approche. Ils décident alors de s'attaquer au conseiller Benoît qui présida les assises lors de la condamnation de Decamps et de Dardare ; Simon va reconnaître les lieux, 136 boulevard Saint-Germain, mais ne réussit pas à découvrir l'étage auquel habite le conseiller. On décide cependant de passer à l'action et, 11 mars, Chaumartin accompagne les quatre terroristes jusqu'au tramway.
      Koeningstein, élégamment vêtu, s'installe alors à l'intérieur tandis que Mariette soubère prend place sur l'impériale, entre Simon et Béala, aussi près que possible du cocher, afin de mieux échapper aux investigations des préposés de l'octroi. Elle recouvre de ses jupes la marmite en fonte déposée devant elle. Après le passage de la barrière, elle descend et retourne chez elle, tandis que Ravachol, Simon et Béala poursuivent leur route et prennent la correspondance menant au boulevard Saint-Germain.
      Lorsqu'ils sont arrivés devant le numéro 136, Ravachol, armé de deux pistolets et muni de l'engin, entre dans l'immeuble et dépose la marmite sur le palier du premier étage, au-dessus de l'entresol, afin d'attaquer l'habitation en son centre. Il allume alors la mèche, descend sans être vu, est surpris par l'explosion à l'instant même où il regagne le trottoir. La projection de mitraille fit d'effrayant ravages : " j'ai cru, dit Ravachol, que la maison me tombait dessus ! " Les dégâts furent évalués à 40.000 francs de l'époque,mais il n'y eut toutefois qu'un blessé ; le président Benoît, qui occupait le quatrième étage, fut indemne.
      Dans les jours qui suivirent, Ravachol et ses amis décidèrent de s'en prendre au substitut Bulot et Ravachol confectionna avec Simon un engin qu'il bourra de 120 cartouches. Mais une auxiliaire de la police qui fréquentait la maison Chaumartin avait connu le premier attentat et fait, dès le 16 mars, tous rapports utiles à ses employeurs moyennant une gratification de 750 F, plus 50 F pour frais de mission, compte non tenu de ses appoitements ordinaires. Chaumartin fut arrêté le 17. Simon, détenu également. Quant à Ravachol, il put déménager à temps et alla habiter Saint-Mandé sans renoncer pour autant à l'attentat envisagé. Il coupa seulement sa barbe et, le 27 mars, à 6 h 20 du matin, prit l'omnibus pour se rendre à Clichy où il arriva vers 8 heures.
      Sur le trottoir, non loin du numéro 39, il ouvrit la valise qu'il avait apportée puis pénétra dans l'immeuble du magistrat, ignorant toutefois à quel étage il habitait. Il abandonna alors sa valise au second palier après avoir allumé les mèches. Il eut ensuite le temps de faire une cinquantaine de mètres dans la rue puis une détonation effrayante retentit et l'immeuble fut ravagé jusqu'en ses fondements. Selon M. Girard, chimiste, qui déposa à l'audience, seule, la présence de nombreuses ouvertures dans la cage d'escalier qui permirent l'évacuation des gaz, évita l'effondrement de la maison. Par miracle, il n'y eut que sept blessés et quelque 120 000 F de dégâts.
      Après l'attentat, Ravachol prit l'omnibus Batignolles-Jardin des Plantes afin de passer rue de Clichy et de juger de l'effet de l'explosion mais l'omnibus fut détourné de son trajet habituel. Vers 11 heures, il se rendit au restaurant Véry, boulevard Magenta. Le garçon, Lhérot, ayant émis quelques récriminations au sujet du service militaire, Ravachol pensa "qu'il y avait quelque chose à faire " et se mit à lui exposer les théories anarchistes. Mal lui en prit car Lhérot le considéra alors comme un homme "pas comme il faut". Et, lorsque Ravachol revint trois jours plus tard dans ce même restaurant, Lhérot reconnu en lui, grâce à la cicatrice de sa main gauche et au signalement que les journaux avaient donné, le dynamiteur du boulevard Saint-Germain et de la rue de Clichy. La police, alertée, arrêta, non sans mal, Ravachol que dix homme suffirent à peine à maîtriser.
      Le 26 avril, il comparut devant la cour d'assises de la Seine en un Palais de justice gardé comme s'il devait soutenir une attaque. C'est que, la veille, le restaurant Véry avait sauté. La bombe avait fait deux morts, "véryfication" dira
Le Père Peinard en un jeu de mots, sinistre. À l'issue des débats, furent seuls condamnés Simon et Ravachol à qui on infligea les travaux forcés à perpétuité.
      Deux mois plus tard, à Montbrison, la cour d'assises de la Loire condamnait Ravachol à mort cette fois, Pour l'assassinat le 18 juin 1891 d'un vieil ermite à Chambles près de Saint-Étienne, assassinat qui avait rapporté à son auteur plusieurs milliers de francs. Ravachol avait été accusé également, outre divers méfaits, de deux autres crimes : le meurtre en 1886, près de Saint-Chamond, d'un rentier et de sa domestique et celui des dames Marcon de Saint-Étienne le 27 juillet 1891, mais il nia avec energie et des doutes sérieux subsistèrent.
      Ravachol avait été arrêté le 30 mars 1892. Jusqu'à sa comparution devant les assises, soit pendant un mois environ, trois inspecteurs le surveillèrent jour et nuit. Ils observèrent ses faits et gestes, enregistrèrent ses paroles et redigèrent des rapports qui ont été conservés aux archives de la Préfecture de Police sous lacote B a/1132. Dès le 30 au soir, il exposait ses conceptions anarchistes à ses gardiens qui rédigèrent ensuite le rapport suivant :

   Le sus-nommé après avoir mangé de bonne appétit nous a parlé en ces termes :
   Messieurs, j'ai l'habitude, partout où je me trouve de faire de la propagande. Savez-vous ce que c'est que l'anarchie ?
   À cette demande nous avons répondu que non.

MES PRINCIPES

      Cela ne m'étonne pas, répondit-il. La classe ouvrière, qui comme vous est obligé de travailler pour se procurer du pain, n'a pas le temps de s'adonner à la lecture des brochures que l'on met à sa portée ; il en est de même pour vous.
      L'anarchie, c'est l'anéantissement de la propriété.
      Il existe actuellement bien des choses inutiles, bien des occupations qui le sont aussi, par exemple, la comptabilité. Avec l'anarchie, plus besoin d'argent, plus besoin de tenue de livres et d'autres emplois en dérivant.
      Il y a actuellement un trop grand nombre de citoyens qui souffrent tandis que d'autres nagent dans l'opulence. Cet é de choses ne peut durer ; tous nous devons non seulement profiter du superflu des riches, mais encore nous procurer comme eux le nécessaire. Avec la société actuelle il est impossible d'arriver à ce but. Rien, pas même l'impôt sur les revenus ne peut changer la face des choses et cependant la plupart des ouvriers se persuadent que si l'on agissait ainsi, ils auraient une amélioration. Erreur, si l'on impose le propriétaire, il augmentera ses loyers et par ce fait se sera arrangé à faire supporter à ceux qui souffrent la nouvelle charge qu'on lui imposait. Aucune loi, du reste, ne peut atteindre les propriétaires car étant maîtres de leurs biens on ne peut les empêcher d'en disposer à leur gré. Que faut-il faire alors ? Anéantir la propriété et, par ce fait anéantir les accapareurs. Si cette abolition avait lieu, il faudrait abolir aussi l'argent pour empêcher toute idée d'accumulation qui forcerait au retour du régime actuelle.
      C'est l'argent en effet le motif de toutes les discordes, de toutes les haines, de toutes les ambitions, c'est en un mot le créateur de la propriété. Ce métal, en vérité, n'a qu'un prix conventionnel né de sa rareté. Si l'on n'était plus obligé de donner quelque chose en échange de ce que nous avons besoin pour notre existance, l'or perdrait sa valeur et personne ne chercherait et ne pourrait s'enrichir puisque rien de ce qu'il amasserait ne pourrait servir à lui procurer du bien-être supérieur à celui des autres. De là plus besoin de lois, plus besoin de maîtres.
      Quant aux religions, elles seraient détruites puisque leur influence morale n'aurait plus lieu d'exister. Il n'y aurait plus cette absurdité de croire en un Dieu qui n'existe pas car après la mort tout est bien fini. Aussi doit-on tenir à vivre, mais quand je dis vivre, je m'entends. ce n'est pas piocher tioute la journée pour engraisser ses patrons et devenir, en crevant de faim, les auteurs de leur bien-être.
      Il ne faut pas de maîtres, de ces gens qui entretiennent leur oisiveté avec notre travail, il faut que tout le monde se rende utile à la société, c'est-à-dire travaille selon ses capacités et ses aptitudes ; ainsi un tel serait boulanger, l'autre professeur, etc. Avec ce principe, le labeur diminuerait, nous n'aurions chacun qu'une heure ou deux de travail par jour. L'homme, ne pouvant rester sans une occupation, trouverait une distraction adns le travail ; il n'y aurait pas de fainéants et s'il en existait leur nombre serait tellement minime qu'on pourrait les laisser tranquilles et les laisser profiter sans murmurer du travail des autres.
      N'ayant plus de lois, le mariage serait détruit. on s'unirait par penchant, par inclinaison et la famille se trouverait constituée par l'amour du père et de la mère pour leurs enfants. Si par exemple, une femme n'aimait plus celui qu'elle avait choisi pour compagnon, elle pourrait se séparer et faire une nouvelle association.
      En un mot, liberté complète de vivre avec ceux que l'on aime. Si, dans le cas que je viens de citer, il y avait des enfants, la société les élèverait c'est-à-dire que ceux qui aimerait les enfants, les prendraient à leur charge.
      Avec cette union libre, plus de prostitution. Les maladies secrètes n'existeraient plus puisque celles-ci ne naissent que de l'abus du rapprochement des sexes, abus auquel est obligée de se livrer la femme que les conditions actuelles de la société forcent à en faire un métier pour subvenir à son existence. Ne faut-il pas pour vivre de l'argent à tout prix !
      Avec mes principes que je ne puis en si peu de temps vous détailler à fond, l'armée n'aurait plus raison d'être puisqu'il n'y aurait plus de nation distinctes, les propriétés étants détruites et toutes les nations s'étant fusionnées en une seule qui serait l'Univers.
      Plus de guerre, plus de querelles, plus de jalousie, plus de vol, plus d'assassinat, plus de magistrature, plus de police, plus d'administration.
      Les anarchistes ne sont pas encore entrés dans le détail de leur constitution,les jalons seuls en sont jetés. Aujoud'hui les anarchistes sont assez nombreux pour renverser l'état actuel des choses, et si cela n'a pas lieu c'est qu'il faut compléter l'éducation des adeptes, faire naître en eux l'énergie et la ferme volonté de leurs projets. Il ne faut pour cela qu'une poussée, que quelqu'un se mette à leur tête et la révolution s'opérera.
      Celui qui fait sauter les maisons a pour but d'exterminer ceux qui par leurs situations sociales ou leurs actes sont nuisibles à l'anarchie. S'il était permis d'attaquer ouvertement ces gens-là sans craint de la police et par conséquent pour sa peau (sic) on n'irait pas détruire leurs habitations à l'aide engins explosibles, moyens qui peuvent tuer en même temps qu'eux la classe souffrante qu'ils ont à leur service.

      Après avoir exposé ses principes, Ravachol manifesta l'intention de "dicter ses mémoires d'une manière complète et détaillée". Il le fit en effet du 10 au 17 avril, puis les inspecteurs refusèrent - sur ordre ? - de continuer à écrire sous sa dictée. Voici ces mémoires, Jusqu'ici inédits, tels que les ont trancrits ceux qui avaient charge de veiller le détenu :
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